Un conteur graphique et visionnaire



Un texte de Antoine Torres


Rencontrer Jacques Brianti, c’est rencontrer une sidérante force de la nature, une colossale énergie créatrice, un volcan en éruption permanente d’images et de formes naissant sans discontinuer sous ses crayons, ses pinceaux et ses mains, en dépit des obstacles de la vie et des douleurs intérieures. Son exposition actuelle à l’Abbaye de l’Escaladieu, « Logeons, longeons les frontières » prouve, ô combien il est un incontestable visionnaire traversé d’une débordante imagination lui faisant produire des images qui prennent vie sous nos yeux et qui, par leur puissance évocatrice, vont au-delà de la simple toile qui les représente.

Voici une vingtaine d’années, au fin fond de son atelier, je le voyais produire des œuvres représentant une humanité en marche et en souffrance s’étirant à l’infini le long de la toile. Elles allaient souvent butter sur des frontières imaginaires. Hélas, ces images, qui semblaient appartenir au passé, sont devenues aujourd’hui criantes d’actualité. A l’image du poète décrit par Victor Hugo dans « Les Rayons et les Ombres », le peintre est devenu visionnaire, qui avant tous les autres a vu « éclore le germe » de cette triste actualité des exodes Nord-Sud, accompagnés de leur corollaire de guerres, de dictatures et de xénophobie. Une centaine de toiles qui mêlent des images des calamités passées à celles du présent, parce que «  le passé est la seule critique globale du présent » (P.P. Pasolini). La grande guerre, au cours de laquelle son grand-père maternel, un immigré espagnol, s’en alla mourir en combattant sur la ligne bleue des Vosges. Les monstrueuses dictatures des années 30, au cours desquelles son père, un immigré italien, traversa la frontière française pour fuir les fascistes de Mussolini et leur misère imposée. La Bosnie et les Balkans sombrant dans les abîmes de la guerre et cette effrayante carte d’Europe, couverte de visages, dont on ne sait s’ils appartiennent à des morts ou à des vivants. L’Irak et enfin ces foules d’ombres entre « l’être et le néant » venues d’on ne sait où et allant vers on ne sait quoi.

On peut souvent lire que J. Brianti est le peintre du chaos et de la confusion. Cette vision ne correspond plus au « Brianti nouveau ». Cette exposition au contraire est l’œuvre de maturité d’un conteur graphique, pétri de cohérence et de clarté. En guise de conclusion permettez-moi d’emprunter celle de la présentation du vernissage, au cours de laquelle notre conseillère générale, Nicole Darrieutort, a cité cette superbe phrase de l’occitaniste Félix Castan : «  On n’est pas le produit d’un sol, on est le produit de l’action qu’on y mène ».

Antoine Torres