« Jaizquibel, villa de guerre ! »

Préface de Robert Guédiguian

Mon cher Jacques,

Lorsque j'ai quitté tes chères Pyrénées ce vendredi dernier, je pensai à la première fois où j'avais découvert ton atelier vingt ans plus tôt. Depuis tu as du faire tes bagages et retrouver une autre grotte où te réfugier. J'ai cependant eu un étrange et agréable sentiment... ce n'était pas dans le même village et pourtant c'était le même endroit et, plus étonnant encore, le même temps... Bien sûr tes cheveux, et les miens, ont blanchi mais ta vitalité désespérée comme disait Pasolini, un de tes compagnons de route, est restée la même, intacte, inaltérée.
Ton atelier est à ton image...Il semble être le lieu d'un combat, comme après une bagarre générale dans un film de John Ford... Tout est sens dessus dessous, mais émergent de ces "décombres" quelques toiles bien rangées, protégées, cachées ou surexposées en hauteur contre un mur pourquoi celle-ci ou plutôt celle-là ? Peu importe, c'est la nécessité du moment qui a du faire la loi, ta propre nécessité confrontée aux nécessitées du monde.
Hasard, objectif ou pas, le soir même j'arrivais à Sienne pour quelques jours. Des affiches sur les murs annonçaient une exposition intitulée La bella ferita, la beauté blessée... le lendemain je vis qu'il s'agissait des œuvres sauvées du tremblement de terre qui a détruit la superbe ville de Nocia... Un documentaire montrait des pompiers, des militaires, des gendarmes qui dans les ruines, les décombres, portaient des statues atteintes, dans leur bras,comme si c'étaient de fragiles nouveaux nés. Ils ne les serraient pas trop fort comme s'ils craignaient de les briser... L'image ralentie donnait à leurs gestes un parfum d'éternité.
Et ces hommes volontaires et bénévoles m'ont fait penser à toi... Je vois toute ton œuvre comme une tentative de sauver la beauté dans un monde en ruines... En ruines non seulement à cause des mouvements telluriques mais le plus souvent hélas à cause de l'action des hommes.
J'ai toujours pensé que les plus grands critiques de leur œuvre étaient ceux qui les avaient produites... Si tes derniers travaux sont dédiés aux frontières que l'on doit selon toi longer et loger c'est, je crois, parce que tout ce que tu as fait, et donc tout ce que tu veux transmettre, peut se définir ainsi... Entre la raison et les sens, entre la vie et la mort, entre l'action et la contemplation, entre l'engagement et le retrait, entre l'écrit et l'image, entre la beauté et la laideur, entre la bonté et la méchanceté. Entre la France, l'Espagne, et l'Italie, tes patries, et aussi le Mexique et la Tchécoslovaquie, devrai-je dire la Tchéquie...
Cher Jacques ton livre est magnifique, c'est du parlé-écrit-illustré, c'est une rivière qui charrie impressions, blagues, concepts, souvenirs, visions, repères, anecdotes, citations et pour que nous puissions mieux comprendre tu y as ajouté des images.
Mais comprendre quoi au juste ? Comprendre une vie et une œuvre qui sont uniques et ressemblent aussi à toutes les autres, qui les valent toutes et que toutes les valent, selon Sartre.
Comprendre, prendre avec nous ton œuvre et ta vie mêlées pour nous aider à vivre nos propres frontières… Merci pour cela...
Je ne peux m'empêcher de finir par une revendication. Je sais que tu as donné quelques deux cent travaux à la ville de Bagnères dont tu as été l'élu. Il faudra qu'on puisse les voir. Ce sont tes œuvres aujourd'hui qui doivent trouver un refuge.

Robert G.





Arcane17
« Jaizquibel, villa de guerre ! » Récits autobiograpiques croisés de Jacques Brianti - Éditions Arcane 17 - 2017
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